Hypocondrie et zoothérapie

Publié le par Miss Gaby

J'ai récupéré Pedro, l'inséparable, pour la semaine. Ex doit passer des examens médicaux à l'hôpital de S. Il m'a demandé de m'occuper de l'oiseau: son nouveau colocataire n'aime pas les animaux.

''
Je ne vais pas bien. J'ai mal aux bronches. J'ai de la difficulté à respirer. Je sens vraiment que j'ai quelquechose'', m'explique-t-il. Cette phrase, en dix ans, je l'ai entendue mille fois. Et ''quelquechose'', c'est nécessairement une maladie grave. De préférence, une maladie se manifestant par des symptômes multiples. Idéalement: un cancer. Ex a eu un cancer du poumon à l'âge de 22 ans. Je ne le connaissais pas encore. Il s'en est sorti. S'il a perdu un lobe dans la bataille, il a en revanche gagné une fragilité extrême et une nette tendance à l'hypocondrie.

Hypocondrie:

Le DSM-IV classe ce trouble parmi les troubles somatoformes. Un trouble somatoforme est caractérisé par la présence de symptômes physiques qui ne peuvent s'expliquer complètement par une affection médicale générale ou par un autre trouble mental
.

- Préoccupation centrée sur la crainte ou l'idée d'être atteint d'une maladie grave, fondée sur l'interprétation erronée par le sujet de symptômes physiques.

Son cancer du poumon, c'est sa carte de visite. C'est une des premières choses qu'il m'a dites, lorsque nous nous sommes rencontrés: ''J'ai eu un cancer du poumon''. C'est aussi ce qu'il écrit sur son profil, sur le site de rencontres auquel il est inscrit:
''Parfois, on traverse des épreuves difficiles dans la vie, comme un cancer. On en ressort grandi et plus sage, et surtout on apprend à vivre intensément chaque moment, à être honnête avec soi-même et, par le fait même, avec les autres.''

Foutaises! rugit la hyène en moi.


Sa carte de visite. Quand il rencontrait de nouvelles personnes, maintes fois je lui ai reproché de se présenter à travers son cancer. Je l'ai souvent regretté: son cancer, c'est exactement ce qui le décrivait le mieux, ce qui faisait de lui un survivant.

- La préoccupation persiste malgré un bilan médical approprié et rassurant.

Hier soir, le verdict est tombé. Comme chaque année, Ex a passé la batterie de tests disponibles en pneumologie: radios, test de capacité pulmonaire, etc. Comme chaque année, les résultats sont négatifs. ''Je vais quand même demander à passer un test de détection du diabète: je suis fatigué et souvent, j'ai la vue qui se trouble.'', conclut-il, désappointé.

- La préoccupation est à l'origine d'une souffrance cliniquement significative ou d'une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants.

Une vie intense, tu parles! rumine la hyène, passablement échaudée.
Se lamenter en permanence, arrêter de sortir, cesser de voir ses amis, se confiner devant un écran d'ordinateur du matin au soir, démissionner de son poste, décider de ne plus travailler. Si c'est ça que tu appelles vivre intensément...

Un jour où nous nous disputons une fois de plus au sujet des économies qu'il ne fait pas: ''Ça ne me sert à rien d'économiser. Je suis malade: dans dix ans, je serai mort.''

S'il est hypocondriaque, moi je suis schizophrène. Un jour hyène exaspérée, le lendemain brebis à son chevet: ''Tu te fais du mal inutilement. Tu n'as rien. On va passer à travers. Tu verras.'' J'essaye toutes les stratégies: empathique, menaçante, pro-active, sourde. Rien ne fonctionne. Parfois, je lance des phrases très dures, dictées par la hyène. Plus tard, je me repens: ''Mon dieu, et s'il était vraiment malade?...''.

Un jour, mon père a dérapé en moto. Il est rentré à la maison, s'est plaint d'avoir mal au bras. Ma mère a pris son bras, l'a tordu. Je me souviens du visage grimaçant de mon père à cet instant. Ma mère a tranché sèchement: ''Tu n'as rien''. Le lendemain, mon père est allé à l'hôpital: il avait le bras fracturé.
Quand Ex se plaint, je ne parviens jamais à délimiter hypocondrie et symptômes réels.

Il y a des jours où je me demande combien de fois je suis passée à côté de ses vrais bobos. Combien de fois la hyène s'est trompée. Ce que j'aurais dû dire et que je n'ai pas dit. Je ne le saurai jamais.

L'important, c'est qu'Ex aille bien. Et moi pendant ce temps, je peux profiter de Pedro qui sautille à ce moment-même sur ma main...

Publié dans Ex

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S
Argh... j'ai l'impression d'être au job là :o(( Surtout quand tu parle de troubles somatoformes douloureux :o))
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M
<br /> Tiens, un nouvel indice! On va finir par tout savoir! :-)<br /> <br /> <br />