Lundi, semaine 2: Jour de froid

Publié le par Miss Gaby


Il fait -20 ce matin. -30, avec le facteur vent. J'ai été faire poser mes pneus d'hiver: je pars à Ottawa demain, j'ai une entrevue pour un poste important. Météomédia n'annonce que 2 centimètres d'accumulation au sol, mais on ne sait jamais. J'ai passé la fin de semaine à réfléchir. J'en suis arrivée à la conclusion que rien ne me force à continuer ce jeu: en conséquence, je déclare forfait. Et fini l'espionnage du statut de A. sur Facebook. Quand j'y repense, je me demande comment j'ai eu cette idée saugrenue du ''ticket'', et comment j'ai pu ouvrir mon coeur à cet homme.

Tout en attendant que ma voiture soit prête, je feuillette un vieil exemplaire de Châtelaine (note pour Pierrot: en même temps, je tape ce texte à l'ordinateur grâce à mes trois mains!). Tiens, une chronique de Josée Blanchette! Allez, tant que vous êtes là, je vous la lis. Ou plutôt, je vous l'écris.


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L'aveu


''Nous ne sommes pas retenus par l'amour que nous n'avons pas reçu dans le passé, mais par l'amour que nous ne donnons pas au présent.''
Marianne Williamson, écrivaine américaine.

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Je me suis avancée, nue et vulnérable, droite, sans armure, sans filet sous les pieds et avec seulement un filet de voix. Ce que j'avais à lui dire au téléphone tenait en une seule phrase et dans tout mon coeur: ''Je veux faire ma vie avec toi.''

Kawabounga! Le silence qui a précédé et suivi cet aveu valait son pesant d'or, plein, vibrant, rempli de non-dits et de retenue. Ces moments-là s'impriment dans le disque dur de notre être, aussi rares que précieux.

Je sais: il faut laisser approcher le conquérant, rester Himalaya, la proie devant le chasseur, tous les techniciens de l'amour sont unanimes sur la procédure. Je le sais, j'ai écrit le livre (Chère Joblo, 2003, pilonné chez l'éditeur) et je connais la chanson.

Mais il existe des exceptions à cette règle quand l'ambivalence est trop forte, le départ imminent, quand la valse-hésitation demande plutôt une figure de tango. Parfois, il faut agir, dire, nommer, se livrer, même si on sait que l'acte est violent parce qu'il ne permet plus aucun louvoiement intérieur. Et même si on pressent qu'il n'y aura pas nécessairement de réciproque. On se jette à l'eau, avec toute sa vérité pour seule bouée.

''Assumer sa vérité, c'est très puissant le message que ça envoie. Ça dit: j'ai pas peur de ton jugement, j'ai pas peur de ton rejet, j'accepte l'inconnu de ta réponse, je sens ça, c'est comme ça, voilà'', m'a écrit une de mes conseillères du coeur. Et la vérité est toujours un soulagement.

Céder à l'amour est si difficile, si déstabilisant, si peu logique au fond et tout sauf raisonnable. Si grisant aussi.

''C'est parce qu'on veut venir au monde qu'on entre en relation avec quelqu'un. L'existence est relation en acte et en puissance et nous le ressentons au plus profond de nous-mêmes, de la manière la plus simple et la plus primitive, encore plus primitive et plus puissante que l'instinct animal que nous possédons au même titre que les animaux'', m'écrit un autre correspondant qui aime la même femme depuis plus de 40 ans.

Plein de gens sont mal accompagnés en attendant de trouver ''l'élu(e)'' ou en préférant un statu quo plus ou moins confortable. Et il est souvent plus facile d'aimer quelqu'un qui ne correspond pas parfaitement à nos besoins parce que l'idée nous semble moins menaçante. On peut se passer d'un accessoire, pas des services essentiels. Avoir besoin est une tare honteuse en ces temps qui célèbrent la liberté, l'affranchissement individuel, l'affirmation de soi. Une déclaration d'amour devient une déclaration de guerre. Comme écrivait le psychanalyste Jacques Lacan, ''aimer, c'est donner ce qu'on n'a pas à un être qui n'en veut pas''.

Et la peur empêche parfois la reddition, la peur si animale dont Carl Jung disait: ''On devrait, en fait, plutôt serrer la peur sur son coeur et dire: voilà, c'est exactement ce que je veux.''

Car cette peur est le moteur de l'amour naissant, son sel, son spasme, son diesel, son ivresse. Sans cette crainte de faire tomber les masques, pas d'abandon possible; pas d'abandon, pas de rencontre; pas de rencontre, pas de ''nous''.

Pour la première fois de ma vie adulte, j'ai choisi plutôt que de me laisser choisir, j'ai fait la moitié du chemin vers celui que j'estime être taillé sur mesure pour moi. Je ne sais où me mènera cet aveu, par contre je suis certaine de la justesse de l'émotion. Et au risque de m'entendre répondre: ''J'admire ton courage'' (ça me fait une belle jambe!), j'assume la position et l'inconfort de la crampe qui vient avec le yoga de l'amour.


Josée Blanchette, Châtelaine, Mars 2008.

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J'ai refermé le magazine, mais je n'ai pu me résoudre à le reposer sur la table. Au moment de payer, j'ai demandé au garagiste si je pouvais le garder. ''C'est gratuit avec les factures de plus de 500 piasses!'' claironne-t-il en riant. Je suis repartie avec mon vieux Châtelaine dans le sac. Frappant de constater à quel point certains textes surgissent au moment le plus opportun. Et comment ils vous rappellent pourquoi vous avez choisi d'agir d'une façon plutôt que d'une autre...

Publié dans Décembre en attendant

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M
Je confirme, Pierrot n'a que deux mains, avec lesquelles il a magistralement coupé le foie gras hier soir!!! gros bisous
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M
très touchant et véritablement éloquent ce texte .. merci a toi de nous l avoir cité, ainsi nous pouvons tous méditer dessus ... <br /> Effetivement cela nous ramène a des réalités qui parfois nous avaient échappées .. <br /> bon courage ma belle
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M
<br /> Tout un hasard d'être tombée là-dessus chez Alex Pneu et Mécanique! Juste au moment ou je me haissais d'avoir agi ainsi. On pense toujours qu'on est la seule à se<br /> mettre les pieds dans le plat. Et bien non: Josée Blanchette aussi! Hi hi... Je l'adore!<br /> <br /> <br />
P
merci pour le clin d'oeil du troisième oeil(?)<br /> très touché par ce texte, la citation de lacan est une étoile dans la nuit...ne prend pas froid! et dis nous en plus sur ton entretien...
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M
<br /> Mon 6eme sens m'a dit que tu apprécierais le clin d'oeil du 3ème oeil! ;-)<br /> Lacan. Je ne connais pas grand chose à Lacan, mais pour cette citation-là, je seconde! Noyeux Joel sous les tropiques!<br /> <br /> <br />
A
je ne pense pas que tu aies eu tort d'ouvrir ton coeur à un homme, ta seule "erreur" peut-être aura été de l'ouvrir à celui-là. ne le referme pas sous prétexte qu'il y a une majorité de lâche chez les hommes...
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M
<br /> Je ne suis pas du genre à refermer mon coeur. Mais pourauoi est-ce que je tombe toujours amoureuse des hommes qui me font mal? Big question...<br /> <br /> <br />