Craintes (2/2)
Selon le site web, l'idée de cet évènement a germé en 1998, tandis que Nathalie Beaudry faisait du recrutement pour le Département de l’exploitation du réseau chez Bell. Responsable d’un programme d’embauche universitaire, elle était censée recruter 50 % de femmes, mais parvenait à peine à dépasser les 25 %. Après avoir constaté que ses amies avaient le même problème, elle leur suggéra de se regrouper pour mettre sur pied une activité à l’intention des adolescentes. C'est ainsi qu'elle et une douzaine de femmes imaginèrent la tenue du Duo avec le soutien de l'École Polytechnique de Montréal, de l'École de Technologie Supérieure et de plusieurs entreprises. « Quand on montre aux adolescentes toutes les avenues possibles, les débouchés pratiques et la portée sociale des carrières scientifiques, d’un seul coup, leur regard change. Tant qu’il n’y aura pas une masse critique de modèles féminins qui réussissent dans ces secteurs, le Duo sera nécessaire. La persévérance, c’est aussi une des grandes qualités qui font que les filles sont excellentes dans les sciences! », affirme Nathalie Beaudry.
Cela fait 5 années maintenant que j'anime des ateliers pour cet évènement. Des journées intenses au cours desquelles il faut littéralement séduire nos adolescentes: leur montrer que les métiers que nous exerçons, traditionnellement réservés aux hommes, peuvent également être exercés par des femmes. Leur faire sentir que nous ne sommes pas toutes des tom-boys: nous nous maquillons, nous portons des jupes, nous sortons danser, mais nous portons aussi parfois des casques et des souliers de sécurité. Pour ma part, j'ai toujours pris du plaisir à cet évènement, car c'est l'occasion de vulgariser et de rendre accessibles nos carrières. Je me dis qu'il est possible que j'inspire un jour une de ces filles.
Mais hier, c'est un peu stressée que j'ai animé mon atelier. En entrant dans la salle, j'ai mentalement dressé le plan des issues de secours les plus proches. J'ai mis mon cellulaire en mode silencieux au fond de ma poche. Pendant toute la durée de l'atelier, j'ai épié les visiteurs qui arpentaient les couloirs. Limite parano la fille. Il faut dire que la semaine précédente, un courriel et un vidéo du service de sécurité avaient été envoyés à la communauté polytechnicienne: ''Mesures d'urgence en cas d'intrusion d'un tireur actif''.
L'École Polytechnique, j'y ai étudié et enseigné pendant 8 ans: on y entre comme dans un moulin, et ce en dépit de la tragédie de 1989. En 2007, j'attribue à l'un de mes étudiants -un homme d'une quarantaine d'années- la note F pour cas de fraude. Cette note l'empêchera de poursuivre ses études. En 2008, alors qu'il n'est plus inscrit à l'école, cet homme s'introduit dans mon bureau, me demandant de lui fournir les corrigés de mon cours. Je garde mon sang froid et parviens à le faire sortir. La sécurité refuse d'intervenir à moins que je ne porte plainte. Mais heu... porter plainte pour quel motif au juste? Délit de sale gueule? Il faudra deux autres visites de l'individu et l'intervention de mon supérieur pour que la sécurité s'active et découvre qu'il a déjà été arrêté pour attouchements sexuels. L'homme est finalement repéré, intercepté et... on lui confisque sa carte d'étudiant! (Merci mon Dieu me voilà amplement rassurée!).
Si je vous dis tout ça, c'est parce que depuis quelques mois, plusieurs admirateurs de Marc Lépine ont recommencé à s'agiter sur internet. Le récent courriel du service de sécurité de l'École Polytechnique porte à penser que cette agitation n'est pas à prendre à la légère. Personnellement, si j'avais été un tireur fou anti-féministe, j'aurais fait un carnage à la journée « Les filles et les sciences »... Pourtant, je n'ai pas vu plus d'agents de sécurité que d'ordinaire. J'ose espérer qu'ils étaient occupés à surveiller activement les lieux par caméra.
Après l'épisode de la bouteille, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à elles:
Geneviève Bergeron, étudiante en génie civil.
Hélène Colgan, étudiante en génie mécanique.
Nathalie Croteau, étudiante en génie mécanique.
Barbara Daigneault, étudiante en génie mécanique.
Anne-Marie Edward, étudiante en génie chimique.
Maud Haviernick, étudiante en génie des matériaux.
Maryse Laganière, employée au département des finances.
Maryse Leclair, étudiante en génie des matériaux.
Anne-Marie Lemay, étudiante en génie mécanique.
Sonia Pelletier, étudiante en génie mécanique.
Michèle Richard, étudiante en génie des matériaux.
Annie St-Arneault, étudiante en génie mécanique.
Annie Turcotte, étudiante en génie des matériaux.
Barbara Klucznik-Widajewicz, étudiante infirmière.
Et encore, c'était juste une bouteille...